samedi 15 octobre 2011

Le billet cognitif

On m’a invité à un lancement. Qui donc? Je ne suis plus sûr. Une histoire de camions, de bar crade et de stade olympique. Je ne comprenais pas trop. J’allais dire non quand le mot magique est sortit : karaoké. J’ai dit : « ok, je vais y aller ».

On a beau dire, un lancement c’est un truc plate. Du monde qui pensent faire partit d’un groupe, ou qui veulent le rejoindre, se réunissent et tentent de discuter ensemble de ceux qui font ou ne font pas partit dudit groupe. Bref, des lécheurs et des bitcheurs. Le pavé lancé génère lui-même assez peu d’intérêt : il est toujours difficile de discuter d’un livre que l’on n’a pas encore lu. Bien sûr, on est généralement poli voir même lustré avec les auteurs Eux, ils font partit du groupe pour un petit bout - au moins le temps d’une soirée, le temps d’un karaoké.

Moi, je ne m’intéressais ni au recueil, ni à cette communauté de juvéniles lettrés. Un trop-plein de petits m’as-tu-vu qui seraient ivres morts avant même d’aller chanter leur première chanson. Une bande de névrosés dépressifs qui tentent de se guérir au travers de l’admiration de leurs pairs. Je suis trop vieux pour ce genre de jeu. Il est évident que de leur quête d’originalité, de leur confusion dans les degrés d’humour, de leur langage cru et hystérique émerge leur conformisme crasse. Non mais… savent-ils seulement chanter?

Non, moi ce qui m’intéressait encore plus que de voir mes amis, c’était que mes amis qui ne m’avaient jamais entendu chanter me voient sur une scène. Je ne sais pas pourquoi, quand je dis que je ne suis pas si mal chanteur, on ne me croit pas. C’est automatique, répétitif. J’ai appris à ne pas insister mais à ne pas manquer une occasion d’impressionner qui aurait la chance de m’entendre. C’est ma petite fierté. On en a tous besoins d’une, non? La nature m’a donné une voix à mi-chemin entre Joe Cocker, Wilson Pickett et Tom Jones, je serais bien fou de ne pas en profiter.

Je suis arrivé à la brasserie clairement trop tôt, le karaoké ne commencerait pas avant deux bonnes heures m’a-t-on dit. Ok, heureusement que j’avais quelques amis pour me distraire d’ici-là. Sophie Bernache était en compagnie de son chum, Mathieu-Arsène dont le nom de famille m’échappe, c’est nono. Il y avait aussi Famélie Babel et son look rétrogradé qui criait avec Julie Boismort sur le bord du jukebox luminescent. Il y en avait d’autres aussi, comme cette connaissance qui tentait de séduire un gars-qui-n’était-pas-son-chum pendant des heures et des heures. « La cruise c’est juste un jeu pour moi» m’avait-elle déjà dit. Un jeu de marde si vous voulez mon avis. Pour le même résultat, il serait beaucoup plus rapide et bien moins compliqué de sortir le Twister. Pas loin d’eux, devant la porte d’entrée, était assis le vendeur du temple : Monsieur Rodrigol en personne. Lui, il est plus vieux, plus vieux que moi même. C’est l’ex de mon ex mais il ne m’a pas reconnu. Tant mieux, vieilles histoires. J’imagine que c’était lui, le bitcheur en chef.

On s’est assis, on tentait de se parler… il manquait clairement d’alcool. Du brun partout, même les serveuses étaient brunes de peau, écaillées. J’ai laissé un huard de tip; je suis aussi cheap que pauvre. Ça m’a fait penser à mes antidépresseurs. J’ai comme sentit une vague de nostalgie monter en moi. Dans le temps, avec le Prozac, j’étais saoul et buzzé avec une seule pinte de bière. Maintenant, c’est moins le fun : je ne suis plus zombie, je chante des chansons joyeuses et je suis cassé d’avoir à acheter plein de bières pour virer des brosses.

Bon, la grosse madame va installer le système de son pour le karaoké. Y’était temps. Je ne peux pas discuter longtemps de bobettes, de chandails avec des faces de loups ou de chansons d’Offenbach. Ok je sais, c’est clair que dans un bar brun on aurait des discussions ennuyantes de hipsters. J’entends « Vous allez au piknic électronik bientôt? » - je ressens un haut-le-cœur soudain. Je me retourne vers la madame. Désespoir, elle ne semble pas trop pressée. Heureusement, elle a laissé traîner mon arme secrète, une armure imparable, le refuge de tous les karaokistes de ce monde : le cartable contenant la liste des chansons. Je me précipite lentement, subtilement, pour l’attraper, ainsi qu’un crayon et de quelques petits papiers. Je me sens déjà mieux. Je prends le temps d'examiner chaque pages, presque chaque chansons même si je sais déjà exactement lesquelles je vais interpréter et dans quel ordre. Je veux impressionner; je vais faire mes hits.

Évidemment, j’ai donné mon petit papier à la madame en premier. Je suis donc allé chanter en premier, question de faire lever le party. Évidemment, j’ai mis tout le monde sur le cul, comme ça bang, en vingt secondes top chrono. « Twist and shout » c’est bon pour ça, moi je shoute un max et les autres twistent correct. Je suis allé me rasseoir, ovation. Mes amis qui ne m’avaient jamais entendu sont impressionnés. Ma soirée est réussie.

J’ai chanté d’autres chansons. Ce n’était pas de bonnes performances pour moi mais les autres adoraient. On est parfois si dur avec soi-même. La seule autre karaokiste qui m'a marqué est cette fille qui a chanté « White Rabbit » de Jefferson Airplane. Disons simplement que malgré la tumescence de mon ego, je pouvais voir que la fille avait du métier. Le choix de la chanson, le calme sur la scène et l’exploitation de son sex-appeal n’était pas le fruit du hasard. J’avais clairement affaire à une collègue.

Puis, tout le monde s'est mis en tête d'aller chanter. C'était rendu très long entre chacune de mes chansons et je commençais à m’emmerder. J’ai voulu faire un duo avec Vérotiques Morbier mais elle était trop occupée à faire faces et grimaces. Je suis rentré chez moi à pieds; pas assez saoul et pas assez content de mes performances. Il faut croire que les m’as-tu-vu ne m’inspirent pas... Tant pis.

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